Du jeu à la BD : les adaptations vidéoludiques en bande dessinée

Du jeu à la BD : que valent vraiment les adaptations vidéoludiques en bande dessinée ?

Une nouvelle quête sur papier

Il y a quelque chose de fascinant dans le passage d’un univers vidéoludique à un autre média. Quand on referme une session sur *The Witcher 3*, ou qu’on s’extirpe d’une course-poursuite dans *Cyberpunk 2077*, on reste souvent avec un goût de reviens-y. Une envie de retrouver ces mondes, leurs personnages, leurs secrets. C’est là que la bande dessinée intervient. Prolongement ? Fan service ? Exercice de style ? Ou vrai travail d’auteur ? Depuis une dizaine d’années, les adaptations de jeux vidéo en BD ont fleuri — et pas toujours pour le meilleur.

Assassin’s Creed : le meilleur et le moins bon du transmédia

Chez Ubisoft, la stratégie est claire : construire un univers étendu à la Marvel. Résultat ? Une multitude de séries BD, certaines éditées chez Glénat (*Assassin’s Creed: Conspirations*, *Bloodstone*), d’autres chez Ubiworkshop (*Reflections*). Visuellement, les albums sont souvent léchés, portés par des artistes confirmés comme Djillali Defali ou Ennio Bufi. Mais le contenu narratif reste inégal. Bloodstone, par exemple, peine à proposer autre chose qu’une course-poursuite générique, sans l’impact émotionnel d’un *Ezio Auditore*.

Assassin's Creed Reflections #3 – couverture variante de la série BD Ubisoft

On est en terrain connu : trahisons, assassins, Templars, secrets de l’histoire. Mais là où les jeux nous immergent par la jouabilité et la densité des décors, la BD se heurte à un paradoxe : trop narrative ou trop illustrative ? Dans le meilleur des cas (*Reflections*), l’équilibre est trouvé grâce à une narration courte et stylisée. Mais dans d’autres volumes, le rythme s’effondre sous le poids d’un scénario bancal. Fan service assumé, certes, mais souvent au détriment de la substance.

The Witcher : Andrzej Sapkowski, CD Projekt, et les ponts narratifs

Le cas de The Witcher est passionnant. L’univers est d’abord né de la plume de Sapkowski, puis transcendé par le jeu vidéo. La BD, éditée chez Dark Horse, cherche à relier les deux rives. House of Glass, Fox Children ou encore Witch’s Lament sont autant d’arcs narratifs centrés sur Geralt. Bonne surprise : la direction artistique est sombre, élégante, et souvent fidèle à l’ambiance poisseuse du jeu. On retrouve la fatigue du sorceleur, les dilemmes moraux, les monstres symboliques.

The Witcher: The Lesser Evil – couverture BD chez Dark Horse Comics

Mais ces BD souffrent d’une limite : elles sont écrites pour des lecteurs qui connaissent déjà le jeu. L’univers est dense, les enjeux implicites. Impossible de les recommander à un néophyte. De plus, certains arcs tournent à vide ou semblent prolonger artificiellement la vie de la licence. On sent une logique commerciale, même si le soin éditorial reste supérieur à la moyenne.

Cyberpunk 2077 : quand le style ne suffit pas

L’univers de *Cyberpunk 2077* se prêtait à merveille à une transposition BD. Visuellement riche, politiquement chargé, noir et urbain. Et pourtant, *Cyberpunk: Trauma Team* ou *You Have My Word*, publiés également chez Dark Horse, peinent à convaincre pleinement. Le dessin est efficace, le rythme soutenu, mais les personnages manquent d’épaisseur. On surfe sur les codes du jeu (trauma units, implants, fixers…) sans véritable prise de distance critique. L’esthétique néon cache une narration trop linéaire.

On ressent une volonté sincère d’exploiter l’univers de Night City. Mais là encore, la BD n’apporte que rarement une valeur ajoutée. Le scénario reste accessoire, parfois confus, et le lecteur reste passif. Contrairement au jeu vidéo qui offre agency et immersion, la BD donne une impression de déjà-vu. C’est beau, mais creux.

Pourquoi si peu d’adaptations vraiment marquantes ?

Le passage du jeu à la BD se heurte à plusieurs problèmes structurels. D’abord, la BD impose un rythme. Finies les longues quêtes secondaires, les errances contemplatives. Le format court oblige à condenser, parfois au détriment de la richesse. Ensuite, la BD ne peut pas reproduire l’interaction, le choix, la personnalisation. Tout est figé, imposé. Difficile alors de faire ressentir ce que le joueur a vécu dans sa propre aventure.

Enfin, beaucoup de ces adaptations sont pilotées par des studios ou des éditeurs en quête de produits dérivés. Le soin artistique est là, mais la passion n’est pas toujours perceptible. Le lecteur attentif sent vite quand une BD a été pensée pour raconter quelque chose — ou juste pour remplir une ligne dans un plan marketing transmédia.

Quelques réussites à noter

Il existe néanmoins des réussites. *The Last of Us: American Dreams*, coécrite par Neil Druckmann et Faith Erin Hicks, est une belle introduction au personnage d’Ellie. *Life is Strange*, en BD chez Urban Comics, prolonge habilement l’ambiance du jeu, grâce à un travail fin sur les dialogues et les émotions. Et certaines BD indépendantes inspirées de jeux, comme *Bloodborne* (chez Titan Comics), parviennent à recréer un imaginaire cohérent et esthétique.

Conclusion : des passerelles fragiles mais passionnantes

Les adaptations de jeux vidéo en BD sont des objets complexes. Oscillant entre hommage, récupération et création, elles peinent souvent à trouver leur ton. Pourtant, quand elles y parviennent, elles offrent une autre lecture d’univers que l’on croyait connaître. À condition d’en attendre une œuvre à part entière — et non un simple miroir illustré du jeu. Le médium BD peut enrichir le jeu, mais il ne le remplace pas. Et c’est dans cette tension que réside toute sa richesse… ou sa frustration.

Notre verdict final

Note : 72%

Des adaptations souvent visuellement réussies mais rarement indispensables, entre fan service assumé et récits en demi-teinte.